Quand vous êtes coupée de votre corps

L’histoire d’Eva

Eva arrive un après-midi pour une séance de shiatsu à mon cabinet, c’est une découverte pour elle. 

Eva, à la découverte du shiatsu

Elle se cache derrière ses longs cheveux châtains et semble un peu hésitante.  Quand elle s’asseoit, elle prend le moins de place possible comme si elle voulait se faire petite souris sur le canapé vert. 

En effet, c’est une jeune femme, douce qui affiche un sourire timide et de grands yeux tristes. Je ressens son besoin d’être rassurée. Elle a besoin de comprendre le déroulement d’une séance de shiatsu, de savoir ce qui va se passer. Nous échangeons tranquillement le temps qu’elle se sente à l’aise. 

Et, d’un coup, sans prévenir, elle s’ouvre et me raconte qu’elle vient sur les conseils de sa psychologue. Elle est tout le temps dans sa tête, elle ne ressent pas son corps. Elle balbutie et finit par oser me dire qu’elle a l’impression de ne pas avoir de corps.  Elle me dit cela d’une traite comme si c’était une honte, un tabou et comme si cela n’arrivait qu’à elle. 

Et quand, je demande à Eva si son corps est un corps étranger pour elle, cela la fait sourire. Je lui dis que parfois, en fonction des événements que nous vivons, nous pouvons avoir l’impression d’être une tête avec des pattes, sans corps entre les deux, là elle rit franchement en imaginant la scène.

Le shiatsu, comme aide pour réconcilier corps et mental

Après cet échange, elle se sent prête à tester le shiatsu. Avant de poser mes mains sur son corps habillé, je lui explique quelle pression je vais faire et je lui demande son accord.

Tout de suite, elle sent que le shiatsu sur la tête la détend un peu. C’est la seule partie de son corps qu’elle a l’impression de ressentir. Elle se rend compte, avec les pressions, à quel point ses tempes sont tendues. 

D’autre part, Eva sait qu’elle peut, à tout moment, me demander de ne pas toucher une partie de son corps. Elle est très fière d’elle, quand elle s’autorise à me dire qu’elle n’a pas envie que je travaille sur le haut du thorax.  Elle me le dit d’une toute petite voix tremblante, inquiète de ma réponse. Je lui souris et lui propose de passer au shiatsu du ventre. Elle pousse un soupir, soulagée et rassurée que j’entende et respecte sa demande. 

Quand le rapport au corps est compliqué, il est fréquent que le ventre soit une zone délicate à travailler. Il est indispensable, encore plus que d’habitude, qu’elle se sente à l’aise et en sécurité. C’est pour cela que je lui parle, lui explique où je pose mes mains, la questionne sur ce qu’elle ressent ou pas. Au début, Eva ne ressent pas grand chose et me parle de sa peur d’être comme cela toute sa vie. Et si elle ne ressentait jamais son corps ? Je lui commente aussi ce que moi je ressens afin de l’aider à percevoir les différences de tensions de son ventre. 

Eva et les effets du shiatsu sur la reconnexion au corps

Au fur et à mesure du shiatsu, avec des pressions douces, une partie de son ventre se détend, elle sent comme une bulle qui lâche. Elle est surprise par cette sensation. Je vois ses yeux s’embuer et les larmes commencent à couler le long de ses joues. Je fais une pause dans le shiatsu afin de lui laisser le temps de pleurer et de libérer cette émotion enfermée. Au milieu de ses larmes, elle me parle et me raconte son histoire, doucement, à son rythme. Elle évoque les agressions sexuelles vécues dans son enfance et ses larmes redoublent. C’est la première fois qu’elle arrive à pleurer en parlant. 

Eva prend le temps dont elle a besoin et choisit le moment où nous reprenons le shiatsu. Je suis là pour l’accompagner au rythme qui lui convient. Les pressions de shiatsu s’enchaînent et Eva perçoit progressivement des sensations différentes sur son ventre. Au moment où je travaille sur ses jambes, elle réalise qu’elle  ressent vaguement une pression, comme quelque chose de très loin. 

A la fin de ce shiatsu, elle est heureuse d’avoir ressenti son ventre, d’avoir pleuré et surprise de constater que ses jambes sont la partie de son corps dont elle est le plus coupée, en terme de perceptions.

Quand votre mental et votre tête sont dissociés

En effet, Eva a, très certainement, perdu la connexion avec son corps au moment des agressions qu’elle a subi. C’est un sujet qu’elle travaillera  avec sa psychologue. En effet, je dénoue le corps et je peux accompagner à libérer les émotions.Toutefois, il est important pour moi de connaître les limites de mon activité. 

Certes, de ce que j’ai pu lire, lors d’un traumatisme, une personne peut se protéger en anesthésiant ses émotions et ses sensations corporelles. Il existe différents degrés de déconnexion et différentes manifestations. Vous vous en doutez, certaines formes sont plus sérieuses que d’autres. Si vous vous sentez concerné, il est important de demander un avis à un psychologue, psychiatre afin de faire le point et de voir ce que vous pouvez mettre en place. A chacun son métier ! 

En ce qui concerne Eva, elle poursuit son travail avec sa psychologue. Elle revient me voir deux mois après sa première séance de shiatsu qui dit-elle lui a été très bénéfique. Elle continue le travail d’écoute de son corps.

Et lors de ce second shiatsu, Eva sent certaines tensions de son ventre se défaire et elle perçoit une légère chaleur dans ses jambes. Surtout, quand son ventre se dénoue, elle prend conscience qu’elle serre très fort sa main gauche, prête à frapper avec toute la colère qu’elle porte en elle. 

Par ailleurs, j’ai beaucoup de chance de pouvoir accompagner Eva dans cette libération de ses tensions, de ses émotions et d’une meilleure écoute de ses ressentis. Je suis touchée de sa confiance et tellement heureuse de la voir ressentir et écouter de plus en plus son corps. 

Parlez

Pour conclure, vous vous en doutez, si vous me connaissez, Eva est un prénom d’emprunt. Et je profite de cet article pour vous dire qu’aucune femme, aucun homme, n’est responsable, ni ne mérite d’être agressé, violé que ce soit par un.e conjoint.e, un.e proche, un.e inconnu.e

Peu importe votre âge, votre tenue, le contexte,… si cela vous est arrivé, vous n’êtes pas responsable. Parlez en et demandez de l’aide !

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